Ce témoignage émouvant, se rapporte à l’alyah d’une avocate arrivée en Israël alors qu’elle ne connaissait “personne (mais alors vraiment personne)“, qu’elle ne parlait “ pas un mot d’hébreu” et “n’avait aucune idée de sa capacité à vivre, même quelques mois, dans ce pays”. Elisabeth a été capable d’obtenir son inscription au Barreau d’Israël, de se marier (1), de devenir mère de 2 enfants avec un troisième en route (2), de déménager en s’installant hors de grandes villes dans la très belle région de MISGAV(3), et de se reconvertir dans un métier mieux adapté au mode de vie choisi. Pour comprendre la richesse de ce témoignage lire avec attention la notice explicative.
Ezra(4):Merci, chère Elisabeth d’avoir accepté de répondre à nos questions et de partager avec nous ton chemin en Israël, afin que d’autres jeunes de France suivent ton exemple et nous rejoignent et bien s’y intégrer. Pourrais –tu tout d’abord te présenter?
Elisabeth: J’ai 35 ans; Je vis en Israël depuis 8 ans. Je suis mariée, avec un israélien d’origine, depuis 6 ans. Nous avons deux petits garçons tous les deux nés en Israël. Mon aîné a 5 ans et mon cadet presque 3 ans. J’attends actuellement notre troisième enfant. Nous vivons en Galilée.
Ezra: Qui étais-tu en France avant ton départ pour Israël?
Elisabeth: Je suis née en Seine et Marne où j’ai grandi. Dès l’obtention de mon bac, j’ai quitté la maison de mes parents pour vivre à Paris où j’ai poursuivi mes études. J’ai étudié le droit à la faculté de Malakoff jusqu’à la maîtrise, puis à la Sorbonne pour mon 3ème cycle. J’ai passé le concours d’avocat en 2003 et j’ai commencé à exercer comme avocate au sein d’un cabinet parisien début 2005. J’avais un statut de collaboratrice libérale. Concrètement cela signifie que je touchais des rétrocessions d’honoraires chaque mois et que je pouvais en parallèle développer ma clientèle personnelle.
Avant de m’installer complètement à Paris, je me devais de vérifier ce qu’était la vie en Israël
Ezra: Quand ton projet d’Alyah a t-il pris forme?
Elisabeth: Mon Alyah s’est faite en deux étapes. J’ai d’abord pris la décision de venir passer quelques mois en Israël. Une fois sur place, après avoir découvert le pays, j’ai décidé de rester. Chacune de ces décisions fut bien différente.
Ezra: Parle-nous d’abord de la 1ere étape:
Elisabeth: La première décision, de “tout plaquer” pour venir passer quelques mois en Israël, s’est imposée à moi sans que je ne sache vraiment comment. Je me suis simplement réveillée un beau jour avec cette idée qu’avant de m’installer complètement dans ma vie d’adulte parisienne, je me devais de vérifier ce qu’était la vie en Israël. L’idée était de casser cette routine qui s’était installée dans mon quotidien: le travail (difficile) en cabinet d’avocat, la carrière qui démarre, les sorties avec les amis.
J’en avais marre de vivre par procuration mon amour pour Israël
Ezra: Pourquoi casser cette routine dont tant d’autres sont satisfaits?
Elisabeth: Tout cela était agréable mais manquait de quelque chose, comme si j’avançais dans une vie sans vraiment de sens. Bien que je n’ai pas été élevée dans une famille religieuse, je me suis toujours sentie très juive, et j’en avais marre de vivre par procuration mon amour pour Israël à travers les articles que je pouvais lire (et j’étais sans arrêt à l’affût) dans le Monde, le Figaro ou Libération.
J’avais également beaucoup de mal à me projeter en France. A l’heure où mes amis commençaient à penser à acheter un appartement, je ne me voyais pas du tout m’ancrer dans un pays où je ne me sentais pas complétement à la maison. L’idée d’Israël était une sorte de fantasme; d’”ailleurs” possible.
Le programme Massa de stage en Israël, le déclic
Ezra: Alors qu’as-tu fait?
Elisabeth: J’ai décidé – de manière soudaine et irréfléchie- de prendre quelques mois de réflexion et de venir découvrir Israël. Le jour où j’ai pris cette décision, j’ai éprouvé à la fois un soulagement et une grande détermination. Ce n’était pourtant pas logique, tout au contraire! Je ne connaissais personne (mais alors vraiment personne) en Israël, je ne parlais pas un mot d’hébreu, et je n’avais aucune idée de ma capacité à vivre, même quelques mois, dans ce pays. Je partais donc à l’aventure la plus complète. Cette décision un peu folle prise (ou plutôt révélée à moi en quelques minutes), j’ai cherché le numéro de l’agence juive et je m’y suis rendue. Là-bas, ils m’ont présenté un tout nouveau programme de MASSA(5)” Carrière Plus”. (Appelé aujourd’hui Stagerim ndlr)
Ezra: En quoi cela consiste?
Elisabeth: Ils me proposaient un stage en Israël dans mon domaine (en cabinet d’avocat, donc) un oulpan, et un appart en colocation pour une période de 6 mois.
C’était parfait, j’ai signé sur le champ pour un départ quelques mois plus tard. J’ai prévenu mes proches (qui n’y ont rien compris(6)) et mon lieu de travail, et j’ai commencé à mettre un peu d’argent de côté chaque mois en prévision de mon départ. Je partais donc pour une aventure de 6 mois, et ça me paraissait déjà magique d’avoir réussi à décider de rompre momentanément avec cette vie parisienne qui manquait d’un petit quelque chose à mon goût. A l’époque, je ne pensais pas du tout à l’Alyah, ça me paraissait complètement impossible de “m’en sortir” seule une fois sortie de ce cadre de Massa.
J’adorais tout: l’hébreu, l’ambiance de Tel Aviv en colocation…
Ezra: Comment s’est passé ce premier contact avec Israël?
Elisabeth: Une fois arrivée en Israël, je me suis retrouvée plongée dans un univers magique à mes yeux. Le programme Massa s’est déroulé comme une grande colonie de vacances: Nous étions avec des gens du monde entier, principalement Européens Sud-américains. Le programme se divisait en conférences, oulpan et stage. C’est comme si j’épanchais une soif intense à laquelle je n’avais jamais fait très attention avant. J’adorais tout: l’hébreu, l’ambiance de Tel Aviv où j’étais installée en colocation, mon nouveau rythme de vie, les retours de journée de travail dans une ambiance de vacances, les vendredis matin à Tel Aviv… tout me plaisait et tout résonnait en moi. Et je ne me lassais pas de découvrir les milles facettes de la vie israélienne.
Ezra: T’es-tu fait des amis?
Elisabeth: C’est effectivement l’époque où j’ai noué des amitiés que je garde encore précieusement aujourd’hui. L’oulpan est le lieu de prédilection pour se faire de vrais amis. On y arrive dans la même situation, généralement coupés de notre famille et de nos proches, et très disponibles pour nouer de nouveaux liens. Je garde de très bons souvenirs de cette période. Je me sentais très libre, et je savourais la chance que j’avais de pouvoir découvrir tout cela. Je me souviens que j’appelais régulièrement mes parents restés en France pour leur dire: “vous n’imaginez pas à quel point c’est bien!!!!” Je crois que de leur côté ils commençaient à se douter que je n’allais pas rentrer de sitôt.
Le stage m’a ouvert les portes du monde du travail en Israël
Ezra: Et sur le plan professionnel comment s’est passé ton stage?
Elisabeth: Les deux avocats chez lesquels je faisais mon stage, dans un cabinet de la Boursa de Ramat Gan(7), m’ont beaucoup aidé à apprécier cette période car ils m’ont ouvert les portes du monde du travail ici en Israël, dans mon domaine, et dans une ambiance très sympathique(8). Ils m’ont également proposé de me garder pour un second programme MASSA, après les 6 premiers mois. J’ai accepté immédiatement car je ne me voyais pas du tout rentrer dans la grisaille parisienne(9).

le District du Diamant (Boursat Ramat Gan)
S’est posée la question de l’Alyah
Ezra: Tu as donc continué ton séjour en Israël mais avec quelle perspective?
Elisabeth: C’est au cours de cette seconde période de 6 mois que s’est posée la question de l’Alyah. Et j’avoue que cette fois la décision à prendre n’était pas simple: J’étais seule, sans perspective d’emploi, avec une maîtrise de l’hébreu correcte mais ne me permettant pas encore du tout de rentrer sur le marché du travail. Je ne me voyais pas rentrer, mais je ne savais pas comment faire pour rester. Et puis il existait une grande différence entre une pause de quelques mois et le commencement d’une nouvelle vie, loin de tous mes proches. Ce fut une période beaucoup moins insouciante, remplie de questions et de doutes.
Un poste d’avocate à la clé, dès la sortie du stage à Ramat Gan
Ezra: Comment es-tu sortie de cette impasse?
Elisabeth: Les avocats chez lesquels je faisais mon stage m’ont à ce moment proposé de m’engager chez eux le temps de passer mes équivalences d’avocate, avec un poste à la clé.
Ezra: Tu as donc décidé de faire ton Alyah?
Elisabeth: C’est en effet ce qui m’a aidé à franchir le cap. J’ai finalement passé mes équivalences en travaillant dans un autre cabinet de Tel Aviv mais je leur dois ce coup de pouce qui est arrivé exactement au bon moment pour moi.
A cette période, alors que le poids de la décision de l’Alyah toute seule commençait, par moment, à se faire sentir, j’ai rencontré celui qui allait devenir mon mari. Le fait d’être épaulée et soutenue par un israélien dans tous ces changements m’a beaucoup aidée, c’est certain.
Par la suite j’ai donc décroché le Barreau israélien, nous nous sommes mariés et nous avons mis en route notre premier bébé rapidement.

Elisabeth et ses deux enfants.
Ezra: Quand es-tu devenue israélienne?
Elisabeth: J’ai donc fait mon Alyah en septembre 2007, un an (jour pour jour!) après avoir atterri en Israël pour une pause de quelques mois. Mes parents et l’un de mes frères ont suivi les années suivantes et vivent également ici aujourd’hui.
Un mari et une nouvelle famille israélienne
Ezra: Ou en est ton intégration sociale?
Elisabeth: C’est sûr que le fait d’être mariée avec un israélien m’a grandement facilité la tâche. Ma belle- famille israélienne vit à Haïfa, ils m’ont adopté comme leur propre fille. J’ai rapidement connu et sympathisé avec les amis de mon mari.
Ezra: Et pour tes relations personnelles?
Elisabeth: Pour mes relations amicales personnelles, je dois avouer qu’il est beaucoup plus facile pour moi de nouer des amitiés avec des francophones.
C’est difficile à expliquer. Peut- être le fait d’être ici en Israël fait que nous avons forcément des points communs et des expériences communes.
Ezra: Maitrises tu parfaitement l’hébreu?
Elisabeth: Oui, je parle aujourd’hui bien hébreu, ça reste beaucoup plus agréable pour moi de passer une soirée dans ma langue maternelle. J’ai l’impression de pouvoir parler de tout mon saoul, alors que même après huit ans ici, lorsque je suis fatiguée, je dois fournir un réel effort pour soutenir une conversation animée en hébreu sans faire de petites fautes ou rater quelques mots.
Misgav, ychouv communautaire de Galilée
Ezra: Ou résides-tu en Israël?
Elisabeth: Nous avons vécu à Tel Aviv pendant 7 ans. Mes deux garçons y sont nés. Après avoir obtenu le barreau local, j’ai finalement décidé de ne pas exercer comme avocate. J’ai préféré chercher un emploi me laissant plus de temps pour moi-même et pour ma famille. Après avoir exercé en freelance pendant quelques mois (principalement des traductions et des consultations juridiques), j’ai trouvé un poste d’auditrice fiscale dans une société française. Mon deuxième fils est né au cours de cette période. Je suis restée dans cette société d’audit jusqu’à ce que nous décidions de quitter Tel Aviv pour vivre au vert, il y a un an et demi. Nous avons choisi de nous installer dans une région magnifique de la basse Galilée, qui d’appelle Misgav. Il s’agit d’un regroupement de petits Ychouvim communautaires(10).

Le paysage de la région de Misgav
Ezra: Comment tu te sens dans un environnement si diffèrent de celui de Paris?
Elisabeth: Nous avons choisi un Yichouv nous correspondant, relativement jeune, perché tout en haut d’une colline. J’ai découvert une toute nouvelle facette de la vie israélienne. Le Nord me plaît beaucoup, et la vie en Yichouv également. Ça correspond notamment à cette phase de ma vie où mes enfants sont petits et où mon quotidien tourne beaucoup autour de la maison et de la famille. Avant que nous décidions pour ce changement de vie, j’ai trouvé un emploi dans la région, au Galilee Institute. Il s’agit d’un institut israélien qui organise des séminaires de courte durée pour les pays en voie de développement. C’est un travail intéressant, qui n’a rien à voir avec mon métier d’origine mais qui me correspond bien pour l’instant.
Ezra: Comment se passe ta nouvelle vie en Yichouv Communautaire ?
Elisabeth:
La vie proche de la Nature me correspond bien. Le calme et la beauté de la région me ravissent. J’ai également rencontré des gens très sympas ici et j’avoue que ce changement m’a enfin permis de m’ouvrir un peu plus aux amitiés avec des israéliennes (ce qu’honnêtement je n’avais pas vraiment connu en 7 ans de vie à Tel Aviv). La vie en Yichouv communautaire favorise également beaucoup les contacts entre habitants. Ici tout se gère avec des comités, l’éducation, les évènements culturels, la sécurité, etc…(11) et on se met dans le bain tout naturellement après quelques mois.

Le mari et les enfants d’Elisabeth dans le cadre naturel de leur nouvelle vie.
L’alyah, faire partie de l’Histoire du peuple Juif
Ezra: Parles-nous des difficultés de l’Alyah
Elisabeth: Tout n’est pas rose dans l’Alyah. Avant tout, quitter ses proches peut s’avérer très difficile, quand on ne sait pas de quoi l’avenir sera fait. Et puis, de manière plus anecdotique, il faut avoir les nerfs bien accrochés au début lorsqu’on se retrouve à faire la queue à la banque, ou alors qu’on est confronté à la familiarité d’un livreur de meubles, ou aux conseils sans fin de tout un chacun dans la rue.
Il existe mille situations, petits moments de honte, incompréhensions, etc… Il y a également ce sentiment d’être avant tout française, à cause de cet accent qui colle à la peau, et parce ce que les israéliens me voient avant tout comme la “tsarfatia”(12). L’Alyah s’accompagne aussi de petits renoncements, à la carrière, au confort de vivre dans son pays de naissance, avec tout ce que cela implique. Et puis il y a le destin du peuple d’Israël, qui n’est pas facile. Les tensions, les opérations, les chansons tristes à la radio. Chaque année, chaque mois, je comprends un peu plus ce que signifie être israélienne. Pendant l’opération de Tsouk Eytan (L’Opération « Roc inébranlable » ndlr), cet été, j’ai pris encore un peu plus conscience de ce qu’il faut donner comme vies et comme larmes pour défendre notre pays.
J’ai eu l’âme déchirée pendant deux mois, comme la plupart des israéliens. C’est ça aussi, l’Alyah, faire partie de l’Histoire du Peuple Juif, avec toutes les douleurs que ça comporte.
Ezra: Mais alors est ce que le jeu en vaut la chandelle?
Elisabeth: Mille fois oui. Tout cela a une contrepartie magnifique: je me sens faire partie à 100% de mon peuple, et je n’ai plus l’impression de préparer sans arrêt ma vie. Depuis que je suis en Israël, j’ai réellement commencé à vivre“(13). Je me sens enfin libre, libre d’être moi, à mon degré de religion et avec mes propres opinions. C’est un sentiment difficile à expliquer.
Mon amour pour ce pays et ses habitants fait vraiment partie de mon quotidien. Je suis chaque jour émue par une situation, une remarque, un paysage, par les fêtes qui se vivent à l’échelle nationale et qui prennent tout leur sens, par mes fils qui chantent à tue-tête des chansons qu’ils auraient dû chuchoter en France… Lorsque j’essaye de me souvenir de ma vie parisienne, tout me paraît loin et embué, comme s’il s’agissait d’une autre vie, bien moins pleine que celle que j’ai aujourd’hui.
Mes conseils pour une Alyah réussie
Ezra: Quelles sont tes recommandations aux dizaines de milliers de ‘olim francophones que nous espérons accueillir durant les cinq prochaines années?
Elisabeth :
-tout d’abord – évidemment- de consacrer tous leurs efforts à l’apprentissage de la langue –L’hébreu- et de se lancer le plus vite possible pour parler, malgré les fautes inévitables du début.
– et ensuite de regarder Israël avec amour et espoir. Cette terre est un miroir et nous renvoie ce qu’y on projette.
Je suis prête avec grand plaisir à aider toute personne qui voudrait des conseils.
Be Hatslaha à nous tous“(14)!
Ezra : Mille Mercis chère Elisabeth. Bravo pour cette très belle Alyah !
Ezra le 31.12.14
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